L’information au cœur de « la guerre hors limites » par Khady Sow
vendredi 28 mars 2025 • 600 lectures • 0 commentaires
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À l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, la guerre ne se limite plus aux champs de bataille traditionnels. Dans La Guerre hors limites, les stratèges chinois Qiao Liang et Wang Xiangsui avaient anticipé l’émergence de formes d’hostilité non conventionnelles, où l’information joue un rôle central. Désormais, la guerre de l’information façonne les conflits géopolitiques, influençant l’opinion publique, manipulant les perceptions et redéfinissant les rapports de force entre nations.
Avez-vous lu « La Guerre hors limites »? Cet ouvrage de géopolitique écrit par Qiao Liang et Wang Xiangsui, respectivement général et haut fonctionnaire chinois, aborde « l’évolution de la guerre et de ses règles dans un contexte de mondialisation et de révolution technologique » pour reprendre strictement l’explication du général Qiao Liang. Les auteurs y listent 24 types de guerre, militaire, supramilitaire et non militaire, qui un quart de siècle plus tard sont plus qu’actuelles : conventionnelle, diplomatique, technologique, spatiale, commerciale, idéologique ou médiatique entre autres.
Au 3e millénaire, époque de progrès technologiques, d’innovation, du numérique et de l’intelligence artificielle les conflits, de plus en plus « hors limites », tournent autour d’enjeux clés technologiques et informationnels. Je voudrais m’attarder, dans cette chronique, sur ce qu’on appelle aujourd’hui la guerre de l’information.
Guerre des médias et de l’opinion, censure et contrôle de la presse, des systèmes et flux d’informations, la désinformation et la propagande sont des manifestations de cette nouvelle forme d’hostilités entre puissances étatiques. Prolongement de la guerre militaire dans un passé récent, la guerre de l’information est devenue le champ de bataille, infligeant des dommages à l’ennemi sans déploiement militaire et à des moindres coûts. Les espaces d’opération, du point de vue militaire, ne se limitent plus au sol, airs et mers ; on parle de façon plus actuelle de sol, airs, d’espace exo-atmosphérique, électromagnétique, d’espace de l’information et du cyberespace. Et, ce dernier, à l’ère du numérique et de l’interconnectivité, concerne et relie tous les autres. Il revêt une importance primordiale dans les états-majors des plus puissantes armées du monde.
Centralité du numérique et importance des médias sociaux
La guerre informationnelle n’est pas un phénomène nouveau, l’aspect inédit étant plus dans la centralité du numérique et la facilité de dissémination des informations à l’échelle planétaire. L’avènement des plateformes de médias sociaux permet un accès instantané à des milliards d’internautes ; on parle de 67% de la population mondiale connectée à Internet en 2024, dont 5,24 milliards d’utilisateurs actifs des réseaux sociaux (63,9 % de la population mondiale).
L’importance des médias sociaux dans la vie au quotidien des individus engendre un changement majeur de paradigme. Les autres sources d’information, les médias conventionnels, presque intégralement numérisés, avec des applications dédiées mais également la communication institutionnelle comme scientifique, sont marginalisées et souvent questionnées. On assiste à une « militarisation de la méfiance » comme le souligne l’UNESCO dans une publication dédiée à l'éducation et à la formation au journalisme. On crie aux « fake news » pour mieux manipuler l’opinion publique tout en glissant des contenus trompeurs présentés comme des faits. Bots, usines de trolls et armées de hackers investissent cette nouvelle surface où se font et se défont les perceptions. Ces acteurs de la guerre de l’information sur internet peuvent ainsi influencer des élections, cibler des personnalités, politiques le plus souvent, qui feront l’objet de campagne de dénigrement soutenu, pousser des narratifs pour justifier les actions belligérantes de leur commanditaire.
Les géants du numérique que sont les GAFAM et BATX jouent un rôle central dans cette guerre informationnelle avec des algorithmes qui permettent de hiérarchiser et mettre en avant une information. Elles orientent la façon dont les utilisateurs des réseaux sociaux s’informent, favorisant la création de communautés et de chambre d’échos. Ces algorithmes participent ainsi à amplifier la désinformation, la mésinformation et la malinformation. Les efforts de rectifications d’usagers bien intentionnés ou de fact-checkeurs sont aussi facilement noyés dans le flux contrôlé.
Même si « La diffusion de la désinformation et de la mésinformation est largement rendue possible par les réseaux sociaux et les messages sociaux » (Guy Berger, Unesco 2018), on ne peut exempter les médias traditionnels de la crise de confiance subie. Certains médias, à l’échelle du globe, n’ont pas été à la hauteur de l’éthique journalistique. La diminution des ressources financières (subventions et publicités), la recherche effrénée de l’audimat, de la primeur de l’information, du sensationnel, de la viralité combinée aux pressions gouvernementales influent énormément sur la qualité de la couverture médiatique. La survie des médias indépendants, garants d’une information vérifiable, de pratiques journalistiques éthiques et responsables est cependant d’une absolue nécessité dans un cyberespace théâtre de conflits géopolitiques, tout comme la littératie numérique aux médias.
Géopolitique des infrastructures et de l’open source
Les enjeux géopolitiques du cyberespace ne se limitent pas aux internautes et à l’utilisation des réseaux sociaux comme terrain d’affrontements idéologiques ; ils se retrouvent également dans les infrastructures matérielles et logiques. Les composants open source, présents dans la plupart des logiciels développés de façon collaborative, ouverts et accessibles à tous, peuvent présenter des vulnérabilités qui, exploitées, pourront être utilisées contre des individus, entreprises ou structures étatiques. C’est souvent la petite fenêtre d’entrée des hackers, cybercriminels et/ou "hacktivistes1" mais également des cyber-combattants de gouvernements étrangers hostiles.
Les acteurs de la sécurité nationale des États en font un enjeu stratégique, élaborant des politiques publiques strictes sur l’origine des composants open sources utilisés et des contributeurs aux plateformes collaboratives ainsi que pour leur inventaire et leur maintenance. Des États-nations s’unissent pour un Internet ouvert et respectueux des libertés et, récemment, à Paris « sur une Intelligence artificielle, inclusive et durable pour les peuples et la planète ».
Une déclaration signée par 62 pays dont la Chine ainsi que la commission de l’Union africaine et l’Union européenne, qui « [reconnait] la nécessité de dialogues multipartites inclusifs et de la coopération sur la gouvernance de l’IA » dans le prolongement des travaux du Sommet mondial sur la société de l’information. Une volonté de coopération multilatérale et de gouvernance multipartite louable mais pas vraiment à l’épreuve de la pratique des puissances américaines et chinoises dont les velléités de contrôle des contributeurs des plateformes collaboratives et du cyberespace en général sont bien réelles.
Quant à la géopolitique des réseaux physiques c’est d’abord, selon le professeur agrégé d’histoire à IEP, David Colon, celle des infrastructures matérielles, très largement héritée des câbles sous-marins posés au 19e siècle qui consacre la prééminence des États-Unis et du Royaume-Uni. Un réseau qui s’est étendu avec l’arrivée de la fibre optique, se déployant tout autour de la planète. Ces infrastructures sont à la base de l’internet mondial ; 99% des données échangées étant transmises par ces câbles. Leur importance stratégique en fait l’objet de convoitise, d’opérations de renseignement, de menaces de sabotage et de guerre hybride.
La cyber-géopolitique est également celle des fermes de serveurs avec la Chine et la Russie qui contestent la suprématie américaine ainsi que celle des nanosatellites qui consacrent l’hégémonie de Starlink. La compétition européenne semble avoir un regain de souffle avec la guerre des mots et des tarifs des États-Unis sans compter l’ingérence politique décomplexée d’Elon Musk dans la vie politique occidentale. Ce dernier est également accusé de mener des campagnes de désinformation et de harcèlement à l’égard de chercheurs et de structures qui luttent contre les ingérences informationnelles étrangères (Colon, 2025).
Autre grand joueur dans le domaine des infrastructures, Huawei Technologies, géant chinois à la pointe de la technologie 5G, aussi soupçonné d’espionnage, ce que son PDG Ren Zhengfei réfute. La capacité de Huawei à développer cette technologie, dans les pays du BRICS et en Afrique inquiète les États-Unis et l’OTAN. Le passé de cadre de l’Armée populaire et de membre du Parti communiste chinois, qu’il dit soutenir, de son fondateur et PDG Ren Zhengfei suscite la méfiance même s’il affirme « qu’il ne ferait rien pour nuire au monde » (Ren Zhengfei, 2019).
Ce qui est évident c’est qu’une mainmise sur les infrastructures du cyberespace donnerait un pouvoir absolu, une suprématie informationnelle et une arme redoutable dans les conflits géopolitiques. Il est aussi limpide que le monde que nous léguerons aux générations futures dépendra grandement de ce que nous ferons du cyberespace.
La cybersécurité et la guerre de l’information font maintenant partie intégrante de toute stratégie militaire, « sans capacité à convaincre et à contrer l’influence adverse, tout engagement militaire est voué à l’échec. » (COMCYBER, 2021)
L’information aujourd’hui est à la confluence du hard et du soft power. La Guerre informationnelle redéfinit les conflits à l’ère du numérique et requiert diverses compétences, de la sociologie à l’utilisation des technologies de traitement des informations en masse (big data) et d’intelligence artificielle (IA) ainsi qu’une coopération entre civils et unités militaires spécialisées, des partenariats multipartites tout en essayant de sauvegarder une certaine souveraineté étatique.
Un défi qui interpelle et qui pose aujourd’hui la question des alliances et des choix stratégiques de nos États africains. Seront-ils des pions, des spectateurs passifs ou des acteurs avertis de cette guerre informationnelle ? Ce serait intéressant d’avoir la vision stratégique de nos chefs d’état major et de nos spécialistes en cybersécurité. Ce qui est certain cependant, c’est que les compétences existent dans la population ainsi que dans la diaspora africaine et qu’il serait peut-être plus judicieux de les développer pour bâtir nos infrastructures (de communication et de cybersécurité) nationales, sous-régionales et continentales.
Sources :
UNESCO, 2018 Journalism, fake news & disinformation: handbook for journalism education and training - UNESCO Bibliothèque Numérique
https://cdeacf.ca/actualite/2023/12/05/nouvelles-donnees-connectivite-mondiale-montrent-croissance
https://www.itu.int/fr/mediacentre/Pages/PR-2023-11-27-facts-and-figures-measuring-digital-development.aspx
https://wearesocial.com/fr/blog/2024/01/digital-2024/
https://www.revueconflits.com/entre-liberte-et-protection-les-defis-des-cables-sous-marins/
https://geopoweb.fr/?LES-ENJEUX-STRATEGIQUES-DES-CABLES-SOUS-MARINS-DE-FIBRE-OPTIQUE-DANS-L-ARCTIQUE-278
Douzet, F. (2014). La géopolitique pour comprendre le cyberespace. Hérodote, 152-153(1), 3-21. https://doi.org/10.3917/her.152.0003
https://www.lepoint.fr/economie/exclusif-ren-zhengfei-le-nouveau-monde-c-est-lui-03-07-2019-2322557_28.php#11
http://www.ifri.org/fr/articles/guerres-invisibles-une-conversation-avec-thomas-gomart
https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/l-information-une-arme-fatale/
https://www.iris-france.org/wp-
Sommet pour l’action sur l’IA, Paris, février 2025
Déclaration sur une intelligence artificielle inclusive et durable pour les peuples et la planète. | Élysée
MA, France / COMCYBER, 2021
La lutte informatique d’influence (L2I) | Ministère des Armées
Par Khady Sow
Suisse, mars 2025
Publié par
Joe N. Marone
editor
iRevue du 31 mars
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