Alhaminou Lo face au labyrinthe institutionnel : un test décisif pour l’Agenda 2050
mercredi 14 mai 2025 • 182 lectures • 0 commentaires
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Alhaminou Lo face au labyrinthe institutionnel : un test décisif pour l’Agenda 2050.
Monsieur le Ministre d’État, chargé du Pilotage de l’Agenda Sénégal 2050,
Votre nomination à la tête du pilotage de l’Agenda Sénégal 2050 intervient à un moment décisif de notre histoire institutionnelle. Elle incarne une volonté présidentielle de recentrer l’action publique autour d’une vision long terme, portée par des instruments modernes de planification stratégique, de coordination, et surtout, d’évaluation des politiques publiques.
Vous incarnez cette nouvelle génération de hauts fonctionnaires et de réformateurs capables d’allier rigueur technique et sens politique. En tant que républicain convaincu, je vous adresse mes sincères félicitations. Mais cette responsabilité, aussi prestigieuse soit-elle, s’accompagne d’une mission d’une rare complexité.
Car la maison à réorganiser est, disons-le franchement, enchevêtrée de couloirs parallèles.
Aujourd’hui, l’architecture institutionnelle du pilotage de l’action publique au Sénégal est marquée par une fragmentation extrême, une redondance des structures, et une confusion des prérogatives. À la Présidence de la République, on retrouve simultanément :
• Le Bureau du Suivi Évaluation des Politiques Publiques et des Programmes (BSEPPP), censé être l’organe stratégique de mesure de la performance des politiques publiques ;
• Le Bureau d’Intelligence et de Prospective Économique (BIPE), qui produit des analyses de prospective économique et sociale ;
• Le Bureau Organisation et Méthodes (BOM), en charge des réformes administratives et de la rationalisation des processus internes à l’administration
À la Primature, deux autres entités interviennent sur des segments proches :
• Le Bureau Opérationnel de Coordination et de Suivi des Projets et Programmes (BOCS), censé assurer le suivi rapproché des réformes prioritaires ;
• Le Fonds de Suivi des Politiques Publiques, dont les contours restent encore à clarifier.
Dans les ministères sectoriels, ce sont les Cellules d’Études et de Planification (CEP) qui sont censées animer la réflexion stratégique et produire les bilans d’exécution des politiques publiques. Et à l’échelle centrale, la Direction Générale de la Planification et des Politiques Économiques (DGPPE), bras technique du ministère des Finances, demeure le principal dépositaire de l’expertise macroéconomique et du cadrage budgétaire.
Enfin, vous connaissez mieux que quiconque le Bureau de Suivi et de Coordination (BSC) du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG), que vous avez structuré et animé, et qui s’impose depuis quelques années comme un centre nerveux de suivi de la mise en œuvre des décisions du Conseil des ministres.
Ce maillage institutionnel est riche, mais aussi redondant. Trop de têtes, trop de structures, trop de chevauchements. Trop de “chefs de l’orchestre”, pas assez de musique.
Ce n’est pas un jugement à l’emporte-pièce, mais un constat d’évaluation publique que les partenaires techniques, les praticiens et même les réformateurs internes au système formulent depuis plus d’une décennie. Cette complexité avait d’ailleurs motivé, dès 2015, l’adoption du décret créant le Cadre Harmonisé de Suivi-Évaluation (CASE). Presque dix ans après, le CASE est resté largement théorique. Sa mise en œuvre souffre de l’absence de leadership institutionnel, d’une méconnaissance des référentiels communs, et d’une culture de l’évaluation encore balbutiante.
C’est ici que votre mission commence. Même si un décret est annoncé pour encadrer vos nouvelles prérogatives, il ne réglera pas l’essentiel : la difficile transformation d’une administration éclatée en un système cohérent, lisible, agile et orienté vers les résultats.
Ce défi n’est pas propre au Sénégal. D’autres pays l’ont rencontré et parfois brillamment relevé. Le Chili, souvent cité comme un cas d’école, a réussi à assurer la convergence entre vision, planification, budgétisation et évaluation d’impact avec un seul acteur central : le ministère des Finances. Ce ministère s’est doté d’un département transversal de planification stratégique, qui pilote une cellule d’analyse des politiques publiques, intégrée au processus budgétaire, capable de produire des évaluations d’impact rigoureuses, en amont comme en aval des projets. Ce modèle a permis une rationalisation sans dispersion, une responsabilisation sans dilution, et surtout, un pilotage stratégique ayant un impact réel sur les arbitrages publics.
Pourquoi n’avons-nous pas choisi cette voie ? Pourquoi n’a-t-on pas renforcé la DGPPE en la dotant d’un bras armé en évaluation, plutôt que de créer une nouvelle structure ?
Dans cette perspective, Monsieur le Ministre d’État, je me permets de vous poser les questions suivantes, qui, je l’espère, nourriront votre réflexion stratégique et les arbitrages à venir :
1. Quelle articulation concrète envisagez-vous entre les missions du BOM, du BSEPPP et du BIPE, tous rattachés à la Présidence ?
2. Les directeurs du BSEPPP (Aly Nar Diop) et du BIPE (Mounirou Ndiaye) seront-ils intégrés à votre dispositif ou conserveront-ils leur autonomie fonctionnelle ?
3. Le BOCS et le Fonds de Suivi, logés à la Primature, passeront-ils sous votre tutelle effective ou s’inscrivent-ils dans une coordination souple et fonctionnelle ?
4. Quelle coordination avec le Bureau du Suivi et de la Coordination du SGG, que vous avez dirigé ? N’existe-t-il pas un risque de chevauchement institutionnel entre ces deux entités ?
5. Comment harmoniser les logiques de travail des Cellules d’Études et de Planification (CEP), qui agissent souvent en silo ?
6. Quelle place pour la DGPPE dans votre dispositif ? Est-elle appelée à devenir un centre d’impulsion ou à rester en périphérie ?
7. Pourquoi ne pas avoir centralisé les fonctions de planification stratégique et de suivi-évaluation au sein du ministère des Finances, à l’image du Chili ?
8. Quelles garanties avez-vous que les conclusions du suivi-évaluation influenceront réellement les arbitrages budgétaires, au lieu de rester lettre morte ?
9. L’Assemblée nationale jouera-t-elle un rôle actif dans l’évaluation des politiques publiques, au-delà de sa fonction budgétaire ?
10. Le décret de 2015 sur le CASE sera-t-il révisé, réactivé ou abandonné ?
11. Comment éviter les doublons structurels et clarifier les mandats institutionnels pour chaque entité ?
12. Une plateforme numérique interopérable est-elle prévue pour centraliser les données de performance, les indicateurs et les tableaux de bord des projets prioritaires ?
13. Les Delivery Units, expérimentées dans certains ministères, seront-elles généralisées comme bras opérationnel de votre stratégie ?
14. Enfin, quelle place accordez-vous aux évaluations d’impact rigoureuses (ex ante, pendant et ex post) ? Seront-elles systématisées ? Financées ? Rattachées à une entité indépendante ?
Monsieur le Ministre d’État, il ne s’agit pas de bâtir un énième dispositif, mais de rationaliser, de simplifier, et surtout d’unifier. Trop de cuisiniers dans la cuisine brouillent la recette. L’enjeu n’est pas tant de multiplier les chefs que de clarifier qui porte quoi, qui rend compte à qui, et sur la base de quels résultats mesurables.
Le Sénégal ne peut plus se contenter d’un pilotage symbolique. Il lui faut une véritable gouvernance des résultats, capable de relier la vision aux ressources, les politiques aux citoyens, et les bilans à la redevabilité. Cette transformation appelle courage, lucidité, et autorité morale. Vous avez aujourd’hui l’opportunité d’en être l’architecte.
Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre d’État, l’expression de ma haute considération.
Mohamadou Manel Fall
Militant pour une gouvernance performante
Publié par
Mamadou Salif
editor
iRevue du 14 mai
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