"Réflexion sur la récupération des biens publics après le décès d’un gestionnaire poursuivi"

samedi 9 août 2025 • 120 lectures • 0 commentaires

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iGFM- (Dakar) Réflexion sur la récupération des biens publics après le décès d’un gestionnaire poursuivi : entre intention politique et exigence juridique « inopportune ».

Notre représentant à l’hémicycle, le député Amadou Ba est sans doute un excellent juriste.
Nous le lisons. Et, nous le lisons avec une attention particulière. Parce que c’est un législateur. Il fait la loi. Il crée du droit. 


Ainsi, une de ses dernières préoccupations relative à une des causes d’extinction de l’action publique, à savoir la mort du prévenu, a-t-elle attiré toute mon attention. 
Pour le vice-président de l’Assemblée Nationale, il y’a une faille majeure à corriger à savoir l’extinction de l’action publique en cas de décès d’un voleur présumé de fonds publique.


 






Il est compris la grande volonté du député à protéger nos deniers publics. Il est vu et noté, pour ce faire, la témérité affichée.


Toutefois, la matérialisation de cette initiative ne doit pas être opérée au mépris des grands principes régissant le droit pénal et ceux de la procédure pénale.
Ensuite, si même il est voulu que la mort du prévenu ne soit plus une cause d’extinction de l’action publique, il va falloir une ingéniosité à la fois juridique et de légistique hors norme. C’est une opération d’une complexité réelle.
Il faudra, en termes simples, réformer en profondeur notre arsenal juridique relatif au droit pénal et droit de la procédure pénale.


D’emblée, j’inviterai l’honorable député Amadou Ba à lire le magistrat, criminaliste et jurisconsulte français Faustine Hélie (1799 - 1884)
Dans le traité de l’instruction criminelle 2ed.T.2.P548, Paris 1866
Le sujet du décès de  la personne poursuivie est rigoureusement traité. Il sera compris pourquoi l’action publique est éteinte pour cause du décès du prévenu.  


L’honorable qui est féru de lecture appréciera le très fourni article de Faustine Hélie.


1. Cadre juridique actuel


La constitution du Sénégal, en son article 9 dernier alinéa, consacre, d’une manière  intangible, les droits de la défense notamment le droit au procès équitable.


Le code pénal et le code de procédure pénale ; même s’ils subsistent par ailleurs quelques failles dans ces codes qui peuvent entraver les libertés fondamentales, consacrent de long en large le droit au procès équitable. 


L’article 6 du code de procédure pénal du Sénégal en son alinéa premier dispose :


« L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée »


La loi, qui n’opère pas de distinction entre les infractions, est claire. Au décès du prévenu, on ne peut plus le poursuivre.


Il est impossible, en vérité, d’établir la culpabilité d’un mort en respectant les exigences du procès pénal. Le mort ne peut pas se défendre. Elle ne peut plus se faire entendre. Et personne ne peut défendre une personne mieux qu’elle-même. Le procès pénal vise la manifestation de la vérité. Il faut donc nécessairement entendre toutes les parties.


La proposition de l’honorable Amadou Ba pourrait remettre en cause les grands principes fondamentaux du droit pénal. 


- D’abord la présomption d’innocence :


La présomption d'innocence est un principe fondamental du droit qui stipule que toute personne est considérée comme innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit légalement prouvée.


La personne décède en étant présumée innocente faute d’avoir été d’éclairée définitivement coupable de son vivant.


Toute poursuite qui n’a pas été menée à son terme doit cesser immédiatement après le décès de la personne poursuivie.


Là aussi, si le procès n’est pas mené à terme, et que le mort soit sanctionné par la récupération de ses biens, il sera donné, en conséquence, un sacré coup à la présomption d’innocence.
- Respect des droits de la défense matérialisé par le principe du contradictoire
En vérité, nul ne peut être jugé sans au préalable avoir été entendu.
Le principe du contradictoire demeure un principe fondamental de toute procédure judiciaire. D‘ailleurs, Il est consacré comme un principe général du droit. Il traduit très parfaitement la notion de procès équitable.
Le principe du contradictoire garantit aux parties qu’elles ne puissent être  jugées sans avoir été entendues ou à tout le moins appelées. La personne qui n’a pas eu connaissance de l’instance menée à son encontre possède certaines garanties, tant du point de vue des voies de recours qui lui sont ouvertes que de l’exécution de la décision.
Au décès d’une personne poursuivie, il ne peut plus y avoir de procès équitable. Le principe du contradictoire ne peut plus être respecté. Cela pour dire que ce n’est pas pour rien que la mort du prévenu éteint de façon systématique l’action publique.
Enfin, il ne faut pas oublier, en passant, que nul n’est responsable que de son propre fait. La loi pénale étant d’interprétation stricte, en aucune manière une personne peut répondre des supposés méfaits d’une autre personne, au sens pénal. 
Au regard de ce principe de personnalité des poursuites, aucune poursuite ne peut être engagée à l’encontre des héritiers de la personne poursuivie en raison de la simple filiation qui les unit. Seul le mis en cause peut se laver d’accusations contre lui.


Je voudrais, au passage, inviter les juristes à lier l’extinction de l’action publique à la disparition de la personnalité juridique.
En droit pénal, on ne doit juger que les personnes. Or, du point de vue du droit civil, le cadavre n’est pas une personne civile. Même sous cet angle, l’action publique ne peut plus prospérer. Cela au risque de rappeler malencontreusement le jugement cadavérique. J’y reviendrai.


En définitive, il faut se poser la question suivante ? 
Comment respecter les droits protégés par la constitution et le code de procédure pénale d’un mort au cours d’un procès pénal ?
Pour rappel, c’est à terme du procès pénal qu’il est établi ou non la culpabilité de la personne et que des sanctions pénales puissent être prononcées.
La réponse à la question permettrait au député de matérialiser sa volonté de rectifier la disposition juridique qui éteint l’action publique en cas de décès d’un présumé détourneur de fonds publics ? Cela passe par reformer aussi bien la constitution, le code pénal que le code de procédure pénal.


2. Obstacles aux préceptes religieux et philosophiques
L’extinction de l’action publique pour cause de décès du prévenu est à la fois une normalité juridique qu’un respect affiché au mort. D’ailleurs, elle épouse parfaitement les préceptes religieux.


En effet, le respect dû à la sépulture est consacré par la constitution et protégé par nos lois et règlements en vigueur.


Revenons à une partie sombre de l’histoire de l’humanité.


Il faut un peu de culture juridique. 


En 896, le pape Formose décéda. Il fut remplacé par Etienne VI.  Influencé par des factions politiques opposées au défunt Pape Formose, Etienne VI décida de le juger à titre posthume.
L’histoire, des années 897, nous enseigne tristement au concile cadavérique. Un évènement triste ou le corps du pape Formose a été exhumé et jugé après sa mort par le Pape Etienne VI. Cela fut apprécié comme les pires moments de l’histoire de la papauté.
L’histoire, toujours, nous enseigne que cette période était marquée par des conflits réels au sein de l’église et par un chaos politique sans précédent. L’acte posé par le pape Etienne VI n’a pas du tout été salué. L’acte fut condamné violemment par la suite et continue de l’être. Cela pour dire qu’établir la culpabilité d’une personne décédée est très périlleuse. 


Par ailleurs, aussi bien la culture et la religion recommandent vivement de prier pour le repos éternel de l’âme de tout défunt. Cela ne s’accommode pas à charger négativement la personne décédée. 


Pour preuve, à chaque fois qu’un individu dépasse un cimetière, il prie pour le repos éternel de ceux-là qui nous devancent à l’au-delà.


C’est profondément humain et hautement religieux.


Je termine par dire ceci : Sur terre, ceux qui nous ont quittés avaient été ce que nous sommes.
Aux cieux, nous serons ce qu’ils sont ! C’est la raison qui justifie de les laisser se reposer en paix après la mort.


3. Expériences étrangères :


Certaines juridictions, comme en France ou au canada, ont mis en place des procédures civiles ou fiscales (confiscation non pénale, saisie patrimoniale) pour récupérer les avoirs illicites sans avoir besoin d’un procès pénal  mais dans un cadre légal très strict. Toutefois, cela n’a rien à avoir avec ce qui est avancé au Sénégal. Il serait intéressant au législateur de lire ce que ces juridictions ont essayé, très difficilement, de faire.


Conclusion :


Si la volonté de renforcer la lutte contre la corruption est légitime, elle doit se faire dans le respect des droits fondamentaux et des grands principes du droit pénal et de la procédure pénale.
Cela nécessite une connaissance historique, en l’espèce, du pourquoi de l’extinction de l’action publique pour cause de la mort du prévenu. Cela nécessite aussi un équilibre, de la justesse et de la justice dans la réflexion. A défaut, c’est l’Etat de droit qui risque d’être affaibli.


Boubacar Mohamed SY
Juriste - Ecrivain

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Publié par

Harouna Fall

editor

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