Suspension temporaire des opérations foncières par les Collectivités Locales : Mesure nécessaire mais à encadrer avec précaution
jeudi 13 mars 2025 • 1480 lectures • 1 commentaires
Société
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Au Sénégal, la question foncière est l’objet de cristallisation dans toutes les collectivités territoriales. Le foncier est un enjeu majeur, marqué par des pratiques spéculatives qui entraînent une flambée des prix et l’exclusion des populations locales de l’accès à la terre.
Le phénomène de l’accaparement des terres, qui s’est intensifié après la crise alimentaire mondiale de 2008, a mis en lumière la vulnérabilité des terres arables face aux intérêts privés et internationaux. A la faveur de la Grande offensive agricole pour la nutrition et l’abondance (GOANA) lancée le 18 avril de la même année plusieurs milliers de terres, ont été cédées et sont aujourd’hui au cœur des phénomènes de spéculation.
En tant qu’acteur engagé dans la lutte contre ce phénomène, notamment à travers mon travail au sein de l’ONG Enda Tiers Monde, j’ai pu constater les effets dévastateurs de l’absence de régulation stricte en matière foncière. Dans ce contexte, la proposition du Député Amadou Ba du parti PASTEF de suspendre temporairement toutes les opérations foncières par les collectivités locales mérite une attention particulière. Cette proposition s'inscrit dans un contexte où la gestion du foncier est souvent marquée par des conflits, des spéculations abusives et une absence de transparence. Toutefois, une telle initiative, bien que porteuse d'avantages notables, - elle peut constituer une opportunité pour protéger les terres et renforcer la gouvernance foncière- elle soulève néanmoins des questions majeures sur le respect des principes de la décentralisation et sur l’impact d’un tel moratoire sur le développement local.
I. Les Enjeux et avantages d’une suspension temporaire
La crise alimentaire de 2008 a entraîné une ruée des investisseurs, notamment étrangers, vers les terres arables africaines, avec le soutien ou la complicité de certains décideurs locaux. Dans de nombreuses collectivités, des hectares de terres ont été bradés sous prétexte d’investissements agricoles, souvent sans consultation des populations. Les petites exploitations agricoles sont les premières victimes de cette spéculation foncière. Nous avons observé depuis 2008 que de nombreuses terres, initialement destinées à l’agriculture vivrière, ont été converties en plantations industrielles (beaucoup de terres sont destinées aussi à la production de biocarburant) ou en projets immobiliers, menaçant la sécurité alimentaire des populations locales. Dans les villes, particulièrement dans le triangle Dakar Thiès Mbour, la spéculation foncière est alimentée par une forte demande en terrains et un marché souvent opaque, entraînant une flambée des prix du foncier, une marginalisation des populations les plus vulnérables et une urbanisation anarchique. L’opacité des transactions foncières est un problème récurrent. L’attribution des terres par certaines collectivités locales s’effectue souvent sans études d’impact ni respect des procédures de consultation.
Au regard de ce qui précède, si la suspension temporaire permet de stopper cette dynamique, d’interrompre les transactions douteuses et d’éviter la dilapidation des terres au profit de promoteurs privés ou d’intérêts étrangers et de préserver les terres au profit des communautés locales, elle est une mesure salutaire. Cependant, cette suspension doit être une opportunité pour revoir les mécanismes de contrôle et d’élaborer des lignes directrices plus claires pour la gestion foncière locale. En effet, elle doit être utilisée pour mener une réforme plus large de la politique foncière nationale. Cela inclurait une révision des textes régissant l’affectation des terres par les collectivités locales, afin de mieux encadrer les transactions et d’assurer une gestion plus équitable et durable du foncier. Une raison de plus pour aller vers une réforme foncière qui peine à se matérialiser malgré les volontés affichées des différents régimes politiques : Plan Action Foncière sous Abdou Diouf, Loi d’orientation agrosylvopastorale sous Wade, Création de la Commission Nationale sous Macky sans que les conclusions ne soient mises en application.
II. Les risques et limites d’une suspension généralisée : une remise en cause des principes de la décentralisation
Depuis les réformes de décentralisation au Sénégal, notamment celles issues des lois de 1996 et de l’Acte III de la Décentralisation, les collectivités locales ont acquis une autonomie dans la gestion de leurs ressources, y compris le foncier. Une suspension brutale et généralisée des opérations foncières sera perçue par tous les fervents défenseurs de la décentralisation comme une recentralisation du pouvoir et une violation du principe de libre administration des collectivités.
Il est aussi de notoriété publique que les collectivités locales peinent à trouver les moyens financiers adéquats pour assumer pleinement leurs attributions conférées par la décentralisation, en dehors des fonds alloués par l’Etat rares sont celles qui sont en mesure de trouver des ressources financières nécessaires. Les revenus tirés des opérations foncières sont souvent une source de financement pour les collectivités locales.
Par ailleurs, l’arrêt soudain des transactions foncières provoquera à coup sûr, des litiges juridiques, notamment pour les projets déjà engagés. Les investisseurs locaux et les populations ayant entamé des démarches d’acquisition de terres se retrouveront dans certains cas, dans une situation d’incertitude juridique, générant un climat de méfiance et d’instabilité. Par ailleurs, dans un contexte où le contrôle de l’État sur les collectivités locales reste limité, la mise en œuvre d’une suspension effective doit aussi nécessiter un dispositif de suivi rigoureux pour éviter que cette mesure ne soit contournée par des pratiques informelles, réduisant ainsi son efficacité. Dans le cas d’une suspension prolongée, il y a un risque manifeste de ralentissement de certains projets de développement local notamment en matière d’infrastructures, d’équipements publics et de logements sociaux, impactant directement les populations. D’où la nécessité de prendre des mesures appropriées pour éviter ces possibles contre-coups de la suspension.
III. Vers une Approche Plus Équilibrée et Concertée
L’initiative du Député Amadou Ba de suspendre temporairement les opérations foncières par les collectivités locales répond à une nécessité indéniable : protéger les terres contre la spéculation et l’accaparement, renforcer la transparence dans la gouvernance foncière et préserver les terres agricoles au profit des communautés locales. Toutefois, une application rigide et indifférenciée de cette mesure pourrait entrer en contradiction avec les principes de la décentralisation et freiner le développement local. Il est donc essentiel d’adopter une approche plus nuancée, en ciblant les zones les plus vulnérables, en assurant un suivi rigoureux et en impliquant l’ensemble des acteurs concernés.
L’expérience des luttes menées en 2008 contre l’accaparement des terres a montré que des mesures précipitées et mal encadrées peuvent parfois produire des effets contre-productifs. Il est donc impératif que cette suspension s’inscrive dans une réflexion plus large sur la réforme de la gouvernance foncière au Sénégal, en garantissant un équilibre entre protection des terres, développement local et respect des principes de la décentralisation.
Je voudrais formuler les propositions suivantes qui ont toujours attiré les acteurs autour de la gouvernance du foncier :
1. Limiter la suspension aux zones identifiées comme étant à haut risque de spéculation et d’accaparement des terres : l’actualité récente a mis en lumière plusieurs zones où la spéculation foncière est plus que réelle : VDN 3, ZAC de Thiès, Zone de DIASS, les NIAYES, la Vallée du Fleuve et j’en passe,
2. Fixer une durée précise pour la suspension et la conditionner à l’adoption de nouvelles règles de gestion foncière plus transparentes.
3. Mettre en place un mécanisme de contrôle impliquant l’État, les collectivités locales et les organisations de la société civile pour assurer le suivi des mesures et surtout de toutes autres affectations par l’Etat du Sénégal.
4. Renforcer la participation des communautés locales dans la gestion foncière, en leur donnant un droit de regard et de consultation obligatoire avant toute transaction.
5. Encadrer strictement les opérations foncières par des audits réguliers et des sanctions en cas de manquements.
Par Dr Mbaye DIENG,
Développement urbain durable-Foncier et Environnement
mbayedieng@gmail.com
Publié par
Youssouf SANE
editor
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