L’Afrique face aux notations financières internationales : Le prix de la subjectivité

mardi 6 mai 2025 • 111 lectures • 0 commentaires

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L’Afrique face aux notations financières internationales : Le prix de la subjectivité

La crise de la dette publique africaine peut avoir d’importantes répercussions économiques et sociales sur les économies nationales, si rien n’est fait pour renverser les tendances en cours.

En contribuant à exclure les pays africains de certains guichets de financement, et à renchérir les coûts de financement de ces économies, les agences de notations financières internationales y jouent un rôle prééminent. Les initiatives en cours, pour éviter au monde une crise financière systémique, devront impérativement prendre en charge la question des notations subjectives dont le continent fait l’objet. Au niveau des pays, des dispositions devront être prises pour améliorer le système d’information financière, en vue de le rendre plus transparent et crédible.


Endettement souverain en Afrique : de fâcheuses conséquences économiques et sociales


Entre 2010 et 2024, la dette africaine a augmenté de 183%, soit un taux 4 fois plus élevé que le taux de croissance du PIB, sur ces quatorze années (CNUCED 2024). Une claire manifestation de l’insoutenabilité de la dette est la difficulté que rencontrent les pays pour en assurer le service. En effet, tandis que certains pays sont en défaut de paiement, d’autres sont en pourparlers avec leurs créanciers, soit pour suspendre le paiement de la dette, soit pour la restructurer.


Il faut d’emblée indiquer que le casse-tête de la dette n’est pas spécifique au seul continent africain ; il se pose actuellement à tous les pays du monde. Entre 2010 et 2023, la dette mondiale est passée de 50 trillions (50.000 milliards) de dollars, à 97 trillions (presque du simple au double). Et la part de l’Afrique, dans ce total, est marginale (seulement 7% en 2023) (CNUCED 2024). Si la dette africaine pose le plus problème, c’est essentiellement pour deux raisons fondamentales : son ratio au PIB croit plus vite que pour les autres pays en développement (pour certains pays asiatiques, ce ratio diminue malgré un encours en constante augmentation) et son service rapporté aux exportations ou aux recettes budgétaires, croit aussi plus vite que celui des autres.  


Les facteurs ayant contribué au surendettement du continent sont nombreux et variés. Profitant des faibles niveaux de taux d’intérêt de la décennie précédente, beaucoup de pays se sont endettés pour combler leur déficit en infrastructures et pour financer leurs dépenses sociales (éducation, santé, en particulier). Mais il y a également eu des choix d’investissement ambitieux, de la part de certains pays, qui ont conduit à financer des investissements très coûteux, avec de faibles impacts sur la croissance et sur le développement national. La volatilité des recettes budgétaires, liées aux variations des prix des produits de base dont dépendent les pays africains, a également joué un rôle.


Dans le même temps, il s’est opéré, pour plusieurs raisons, une réduction considérable des flux d’aide publique au développement, dont les financements concessionnels constituent une part non négligeable. La crise du multilatéralisme, les contraintes budgétaires dans certains pays donateurs, et la « lassitude » des bailleurs, y ont toutes contribué, sans oublier les tensions géopolitiques internationales.


Enfin, la Covid.19 a été un élément déclencheur. Avec la baisse significative des activités productives que tous les pays ont connue, avec la pandémie, on a noté partout des engagements budgétaires sans précédent, surtout dans les pays développés, pour soutenir l’économie. Dans le but d’enrayer l’inflation qui s’en est suivie, les banques centrales ont fortement augmenté leur taux d’intérêt, ce qui a eu comme effet d’attirer vers ces pays une bonne partie des capitaux qui étaient initialement destinés aux pays en développement.


Les conséquences sur les économies africaines sont dévastatrices, tant sur le plan macroéconomique que sur le plan sectoriel. La trésorerie des États est mise à rude épreuve. En 2024, sur les 54 pays du monde en développement consacrant plus de 10% de leurs recettes budgétaires au paiement des intérêts, la moitié étaient africains. L’exemple du Kenya est illustratif, où presque 60% des ressources budgétaires vont vers le paiement du service de la dette. Cette augmentation de la part du service de la dette dans les recettes budgétaires, réduit drastiquement les marges de manœuvre budgétaires des États et leur capacité à financer les dépenses sociales. Par exemple, 32 pays consacraient plus de ressources au paiement des intérêts de la dette qu’à la santé, et 25 pays qu’à l’éducation (UN Global Crisis Response Group 2024), ce qui les éloigne d’autant de l’atteinte des objectifs de Développement Durable (ODD).


La subjectivité des notations financières internationales amplifie les effets de la crise en Afrique


La confiance joue un rôle très important en finance : la perception qui est faite de la solvabilité ou non d’un pays peut faire augmenter le risque auquel il fait face, renchérissant d’autant les conditions auxquelles il peut s’endetter au niveau des marchés. Dans ce processus, le rôle des agences de notation est de donner aux créanciers privés une estimation assez raisonnable des risques auxquels les pays débiteurs sont assujettis. Elles sont donc plus du côté des créanciers que des débiteurs. Pour des raisons évidentes, elles préfèreront surestimer ces risques plutôt que d’exposer les investisseurs, en les sous-estimant. Dès qu’il est perçu la moindre menace sur les capitaux privés, les agences de notation n’hésitent pas à faire baisser les notes des pays considérés.


Pour des raisons assez difficiles à cerner, les pays africains font face à des notations qui exagèrent significativement le niveau de risque auquel ils exposent leurs potentiels créanciers. Et ceci a des répercussions non négligeables sur le profil de leur dette. Le coût du crédit est ainsi plus élevé pour les pays du continent que pour les autres. Entre 2020 et 2024, le taux d’intérêt moyen est estimé à 9.8% pour l’Afrique, contre 5.3 pour l’Asie et 6.8% pour les pays latino-américains. Pour les pays développés, il est beaucoup plus faible : par exemple il est 0.8% pour l’Allemagne et 2.5 pour les USA (UN Global Crisis Response Group 2024). La perception subjective d’un niveau de risque plus élevé pour l’Afrique explique une bonne part de ces différentiels d’intérêt. Le PNUD estime à 24 milliards de dollars le différentiel des paiements d’intérêts qui peut être attribué à la composante subjective des notations et à 46 milliards le montant de financement échappant aux pays africains parce que ces notations les mettent à un niveau de risque où certains guichets leur sont fermés (UNDP 2023). La somme de ces deux éléments donne un total de 70 milliards, ce qui fait le double de l’aide totale reçue par les pays africains en 2021 (environ 30 milliards de dollars).


La surestimation du niveau de risque souverain des pays africains peut être attribuée à plusieurs facteurs. Il peut s’agir d’une faible connaissance de ces économies, ou d’un manque de confiance dans le système d’information financière des pays africains, de la part des agences de notations, qui par prudence, la compensent à travers une prime de risque plus élevée.


En tout état de cause, la composante « subjective » des primes de risques, celle qui ne correspond à aucune réalité économique ou financière tangible, contribue à démesurément augmenter le coût du crédit alloué aux Africains.


Implications pour le Sénégal


Le Sénégal, à l’instar d’autres pays africains comme Madagascar, le Rwanda, l’Ouganda, et la Tanzanie, est considéré comme connaissant un risque réel de crise, mais plus modéré que ceux de pays comme le Kenya, la Guinée Bissau, l’Éthiopie, le Cameroun, la Gambie, la Sierra Léone, et le Soudan du Sud (UNU-WIDER 2025). De plus, son appartenance à une zone monétaire relativement stable, avec une politique monétaire prudente et responsable, et surtout une mutualisation des réserves de change, qui joue comme un coussin de sécurité, est atout non négligeable pour son économie.


Cependant, comme les autres pays africains, la situation de sa dette souveraine se dégrade à un rythme inquiétant, au fil des ans. Il est clair que si les tendances actuelles se maintiennent, le pays pourra difficilement échapper aux conséquences économiques liées à une telle situation, en particulier, une crise de balance des paiements avec les conséquences économiques qui vont avec : tensions budgétaires plus prononcées, inflation galopante, baisse de la croissance, turbulences socio-politiques, etc.


Le système d’information financière gagnerait à être amélioré pour davantage crédibiliser la signature souveraine du pays. Le récent rapport de la Cour des comptes a pointé du doigt les limites de notre système d’information. Nos comptes publics manquent singulièrement de complétude. Et cela se voit à plusieurs niveaux : au niveau des finances publiques, au niveau des comptes extérieurs, tout comme au niveau des comptes sectoriels.


A l’échelle internationale, ces dernières années, la diplomatie sénégalaise a joué un rôle important, en rapport avec le G20 et l’Union africaine, pour faire entendre la voix de l’Afrique dans les débats en cours sur la réforme de l’architecture financière mondiale. Ce travail devrait continuer pour que le continent soit représenté dans les instances internationales de prise de décision sur les questions financières internationales, notamment au niveau de la Commission Internationale des titres. Ceci leur permettrait non seulement de fournir les données nécessaires pour une notation plus objective, mais aussi de mieux comprendre comment ils sont notés.


Ahmadou Aly Mbaye. Professeur d'Economie et de Politiques Publiques

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Publié par

Youssouf SANE

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